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bovier : Tu es historienne de l'art ?

bacchetta : J'ai fait des études partielles d'histoire de l'art, mais je me suis vite dirigée vers la pratique. Cela a été quelque chose d'assez naturel : j'ai été engagée dans un centre d'art (le Centre d'art visuel à Genève), j'écrivais des articles et j'allais voir le plus d'expositions possible. Pendant cette période, j'ai écrit pour des magazines tels que Faces (une revue d'architecture) et Parkett. On pourrait dire, en définitive, que je suis moitié historienne de l'art et moitié autodidacte.

bovier :Tu es entrée au Centre d'édition contemporaine à quel titre ?

bacchetta : Ça s'appelait le Centre genevois de gravure contemporaine et j'y suis entrée au titre d'assistante, puis la collaboration a évolué. Je connaissais les deux artistes, Anne Patry et Paul Viaccoz, qui avaient repris le Centre genevois de gravure contemporaine après la défection du précédent directeur ; c'était alors un lieu un peu laissé à l'abandon, très discret et où il ne se passait plus grand-chose.

bovier: A l'époque c'était un lieu de production de gravure selon des techniques classiques ?

bacchetta : C'était un atelier de gravure, eau-forte et lithographie, avec des graveurs qui travaillaient sur place. Cet atelier réalisait des travaux d'impression pour des tiers - pas forcément choisis par la personne qui était à la direction à ce moment-là. C'était aussi une sorte de maison d'artistes, avec des personnes qui vivaient là.

bovier : Tel que Fabrice Gygi, je crois ?

bacchetta : Oui, très jeune, avant même de faire les Beaux-arts, il a commencé à faire de la gravure et c'est ça, je crois - mais je n'étais pas là à cette époque -, qui lui a donné l'envie d'être artiste. Lorsque je suis arrivée au Centre, il y avait des plaques de gravures sur bois de lui, deux ou trois choses qui étaient déjà un peu « fofolles », mais pas mal du tout !

bovier : Et au niveau exposition ?

bacchetta : C'était plutôt les graveurs qui utilisaient les ateliers qui exposaient ce qu'ils y avaient fait. Je ne crois pas qu'il y avait de véritable politique artistique ou même une programmation régulière.

bovier : Quand tu as pris la direction du lieu, tu as changé cette politique, d'abord en établissant la distinction entre un programme d'exposition et un programme de production.

bacchetta : Je n'ai pas initié seule ces changements : nous nous sommes très bien entendus avec Paul Viaccoz et Anne Patry et nous avons commencé par discuter ensemble comment modifier la situation, développer quelque chose de plus professionnel, de plus impliqué dans l'art contemporain et sortir de la gravure comme simple technique - bref : changer ce lieu assez fermé, assez sombre, cette maison d'artistes assez repliée sur elle-même. Nous avons commencé à nous dire que nous ferions des invitations d'artistes et que nous réaliserions des éditions avec un ou deux imprimeurs, qui seraient au service de ces artistes invités. En parallèle, nous commencions à réfléchir à un programme d'expositions. La partie atelier est restée, dans un premier temps, réservée à l'apprentissage, aux cours de gravure. Mais, plus nous amplifiions la production des éditions avec des artistes invités, internationaux, plus nous nous éloignions des préoccupations uniquement techniques. Nous avons engagé diverses expérimentations, fait de nombreux essais et, petit à petit, cela avait de moins en moins à voir avec une simple activité d'atelier.

bovier : En te détachant de la technique en tant que telle, est-ce que tu avais un autre modèle de lecture de l'édition en tête, est-ce qu'il y avait des expériences précédentes qui t'intéressaient dans d'autres lieux, chez d'autres éditeurs ? En connectant l'édition avec l'exposition, en quelque sorte tu replaçais cette activité au coeur de la pratique de l'artiste. L'édition est souvent pour un artiste - à part un Fabrice Gygi pour qui c'était une initiation à l'art, comme nous l'avons évoqué - un sous-produit d'un travail plus large. C'est pour cela aussi qu'elle est un peu hors marché et qu'on peut travailler un peu plus librement, sans les galeries pour en régler la commercialisation. De manière générale, on a une plus grande liberté de champ d'action, on est un peu moins soumis aux pressions économiques et il est rare que l'artiste en fasse sa pratique principale.

bacchetta : Il y a plusieurs thématiques dans ta question. Je dirais d'abord que nous n'avons pas commencé tout de suite avec cette politique expérimentale. En fait, au début, nous produisions des éditions encore assez traditionnelles et très influencées par les imprimeurs. Par exemple, les portfolios que nous avons réalisés avec Marc Camille Chaimowicz ou avec Christian Lindow, sont des estampes avec des formats et des choix de papiers encore assez classiques. Par la suite, c'est l'équipe du Centre et les artistes, en discutant ensemble, qui ont fait évoluer les choses. En définitive, je pense que cela venait davantage des artistes. Nous choisissions des artistes de plus en plus impliqués dans l'art contemporain, comme Roman Signer ou John Armleder. J'ai encore intensifié cette tendance en invitant des artistes comme Luc Tuymans, Karen Kilimnik, Thomas Hirschhorn, Rosemarie Trockel, Heimo Zobernig et Elke Krystufek. D'un côté ils nous renvoyaient une image pas toujours très positive de la gravure et, de l'autre, ils étaient excités de faire des expériences nouvelles ; nous, de notre côté, nous étions d'accord de les tenter. Les artistes pouvaient être motivés aussi par un projet, une expérimentation qui concernait en fait davantage leur travail que strictement la réalisation d'une édition. Par exemple, Thomas Hirschhorn que j'ai invité en 1994, n'était absolument pas intéressé par une édition de gravures, mais à ce moment-là de sa carrière, il avait besoin d'un premier catalogue, qui aurait pris le statut, comme il le disait lui-même, d'une exposition, mais sous la forme de publication. De ce fait cette « exposition » pourrait profiter du système de diffusion plus large des livres et des catalogues. Ce fut Les Plaintifs, les Bêtes, les Politiques (1995). Nous avons tout de même essayé de motiver les artistes à poursuivre des projets en gravure ou en lithographie, ce qui reste encore assez facile tant que cela concerne des peintres ou des artistes qui ont une pratique du dessin. Les choses se sont compliquées quand nous avons eu à faire de plus en plus à des artistes plutôt conceptuels, qui ont des pratiques très éloignées de la représentation. Petit à petit les artistes nous entraînaient vers d'autres médiums. Nous les avons suivis. Nous étions aussi intéressés par la sérigraphie, le livre d'artiste, le multiple, ou encore un mix de tout cela. Pour moi, c'était une manière d'expérimenter toutes les possibilités offertes par le champ de l'édition. J'ai d'ailleurs toujours choisi les artistes davantage en fonction de leur travail que de leur capacité ou facilité à aborder la gravure ou l'édition. Je ne suis jamais partie du constat que tel ou tel artiste aurait un travail plus adapté à la gravure ou à l'édition. Mes choix vont d'abord et toujours vers des artistes dont le travail m'intéresse et, ensuite, je leur pose la question de l'édition : est-ce qu'ils en ont l'envie, est-ce qu'ils ont déjà un projet, est-ce qu'ils retiennent l'invitation ou pas, etc. C'est l'artiste lui-même qui me renvoie un refus, un accord ou une idée. C'est, je crois, cette «méthode », qui m'a permis d'explorer, d'un artiste à l'autre, tous les différents types d'édition. De cette manière, certains artistes pouvaient me proposer quelque chose de très classique ou de plus expérimental : aborder la gravure par curiosité, préférer un imprimé tiré à 1'000 exemplaires, un objet ou un livre, etc. C'est ce qui a permis au Centre d'édition contemporaine d'explorer une multitude de possibilités éditoriales. Parce que dans l'édition se pose à chaque projet la question de son mode de diffusion. C'est assez amusant de se demander pour chaque objet dans quel réseau cela fait plus de sens de le diffuser. Est-ce que tu joueras cette fois-ci la carte de la gratuité ou du luxe et de la rareté, est-ce que tu vas essayer de te situer hors du marché de l'art ou viser les librairies ? Même si dans la plupart des cas, la gratuité ou l'échappée du marché est une illusion : le marché de l'art nous rattrape toujours, absorbe à mesure tout ce qui est proposé, quelle que soit sa charge critique.

bovier : Ceci dit, nous sommes quand même très loin des prix actuels de l'art contemporain avec les éditions. Lorsque l'on fait une édition, l'on est producteur de quelque chose, on ne négocie finalement qu'avec l'artiste avec qui on discute le prix, la quantité, la diffusion. Comme tu le dis, c'est effectivement aussi important de savoir si ces oeuvres partent dans le marché de l'art ou pas du tout. L'édition peut aussi être diffusée autrement que par les biais les plus traditionnels de l'objet d'art.

bacchetta : Je pensais surtout à une autre illusion: celle qu'illustrent les tentatives de Fluxus, cette illusion que des éditeurs et surtout des artistes de cette époque entretenaient, qu'au travers de «miniobjets », ils pourraient sortir du monde de l'art, s'en autonomiser, voire même gagner mieux leur vie que par leur art. Parfois j'ai l'impression qu'en guise de réelle diffusion, nous serions, nous les petits éditeurs comme le Centre, plutôt en train d'imiter le vrai marché, de faire « comme si », de faire semblant, « pour de faux ».

bovier : Est-ce que les objets que tu produis rentrent réellement dans des marchés différents ?

bacchetta : Oui et non, le plus souvent ils restent dans le marché de l'art ou du moins dans le monde de l'art. On rêve souvent de produire un objet qui aura la force de sortir du champ de l'art, de générer une possibilité de partage démocratique. On imagine que l'on va être capable de produire un « vrai » objet, que l'on pourra ainsi concurrencer la production de masse et avoir le pouvoir d'insérer dans le monde réel cet objet.

bovier : Est-ce que tu parles, par exemple, d'une édition papier, qui devrait circuler comme un livre ou d'objets imitant la production en série ?

bacchetta : Je pense plutôt à un objet tel que le piton de Fabrice Gygi par exemple, que nous avons édité en 2001 - le Piton universel. Gygi imaginait ce piton comme un outil d'accrochage ou de suspension pour ses installations, mais qui pourrait, le cas échéant, devenir une pièce de quincaillerie, ou encore un piton de montage « nouvelle génération ».

bovier : Qui serait vendu dans les do-it yourself ?

bacchetta : Oui. Ce rêve ne devient que rarement réalité. C'est le plus souvent un échec. Nous avions également essayé, en 1998, avec Claude Closky de motiver l'entreprise Swatch à s'intéresser à son projet d'une montre qui tournerait sur 10 heures au lieu de 12, mais cela n'a rien donné ; tout comme pour le prototype de chaise en plexiglas de Sidney Stucki (Prototype 1, 2000), qui n'avait pas vraiment intéressé la galerie Kreo à Paris - trop artistique ou trop design, je ne me souviens plus vraiment? bovier : Est-ce que dans ces projets la diffusion a été travaillée spécifiquement ? Si tu veux faire entrer les pitons de Gygi dans une quincaillerie, cela veut dire qu'il faut trouver des représentants pour la vente, faire des calculs de revient, adapter le projet aux outils de production, etc. bacchetta : Cela ne marche jamais, parce que l'artiste ne prend pas véritablement en compte cette dimension. C'est très difficile pour un artiste de dessiner quelque chose et ensuite, même si on l'aide, d'aller voir des industriels, d'avoir les connaissances techniques, de passer tous les tests de faisabilité, de marketing?

bovier : Mais tu pourrais vouloir le faire, trouver les aides nécessaires?

bacchetta : Oui, peut-être, mais j'ai l'impression que lorsque l'on flirtait avec ce type d'illusions, c'était davantage une sorte de moteur, de motivation intellectuelle. Souvent aussi dans mes discussions avec l'artiste, à mesure que le projet se précisait nous ajoutions des détails comme une boîte, un mode de présentation, nous décidions d'un nombre plus ou moins restreint d'exemplaires, etc. - tous les détails sont importants, significatifs du statut que prendra telle ou telle édition. Du coup, je pense que cette illusion-là, de réalisme, était plutôt une excitation intellectuelle qu'autre chose. bovier : C'est un potentiel mais il n'est jamais vraiment actualisé. bacchetta : Oui, mais par contre ces propositions peuvent être reprises ensuite par des designers, sans même qu'on le sache, elles peuvent inspirer des industriels. Mais, dans un premier temps, je pense qu'une édition, comme une oeuvre d'art, n'a pas à remplir de rôle réellement fonctionnel.

bovier : C'est vrai que l'édition a souvent joué avec ce potentiel, parce qu'elle permet effectivement d'infiltrer d'autres systèmes de distribution que celui de l'art traditionnel, c'est-à-dire de l'objet d'art unique. C'est dans la nature même de la production de ces objets : qui dit édition dit multiplication donc technique de reproduction et de multiplication.

bacchetta : J'aimerais bien suivre un objet pour voir s'il finit dans une cuisine sans que personne ne connaisse son statut d'édition d'art. J'ai le souvenir qu'une des éditions de Marcel Broodthaers, un imprimé du type planche d'encyclopédie, légèrement modifiée par Boodthaers, avait été achetée et gardée sans que son statut d'oeuvre n'apparaisse ni que sa valeur réelle ne soit connue de ses usagers.Mais, c'est peut-être une légende... En vingt ans, cela ne m'est jamais vraiment arrivé, je ne pense pas avoir produit un objet qui aurait perdu sa valeur artistique et se serait dissout dans le quotidien. A part peut-être, étonnamment, la publication de Thomas Hirschhorn, qui est en tout cas devenue populaire, a existé dans un monde de l'art « élargi ».

bovier : Mais, est-ce que cela ne correspondait pas également à un moment où le monde de l'art s'élargissait, devenait un peu plus « lifestyle » et un peu moins spécialisé ?

bacchetta : Oui, c'est possible. Peut-être qu'il y avait plus de public. Mais il y avait aussi les actions de Thomas, par exemple d'organiser la signature de la publication Les Plaintifs, les Bêtes, les Politiques, que nous avons réalisée avec lui dans un bar-restaurant arabe à côté de chez lui. Un bar où les autres clients, peut-être même le patron, savaient à peine qu'il était artiste. Nous avons organisé cette soirée de signature, où étaient mêlées les personnes du milieu de l'art et la clientèle habituelle. En fait, l'ambiance de cette soirée tenait beaucoup au mode de vie de Thomas. Parce qu'il a toujours été quelqu'un, je crois, qui vivait une vraie vie. bovier : En dehors de ce potentiel d'infiltrer d'autres réseaux de diffusion que ceux de l'art, qu'est-ce qui fait pour toi de l'édition un médium aussi privilégié ? bacchetta : Ce que je trouve intéressant, c'est dès le départ de réfléchir avec l'artiste à l'objet que nous allons éditer. En analysant tous les paramètres qui participent à la réalisation de cet objet : comment va-t-on le réaliser, le produire à plusieurs exemplaires, le diffuser. Toutes ces questions, ces étapes me permettent de participer à la fois intellectuellement et concrètement à la création de l'objet et à sa distribution. L'intérêt est que ces deux moments, production et diffusion, doivent faire corps, doivent créer du sens. Sans vouloir m'immiscer dans le travail d'un artiste, j'aime le questionner et même parfois aller jusqu'à pousser l'artiste à mettre en avant certains aspects de son travail qui m'intéressent plus. Cela m'aide aussi tout bonnement à mieux comprendre le travail des artistes que j'invite.

bovier : Et par rapport au commissariat, ce dialogue te semble-t-il de même nature, plus ouvert, moins ouvert ?

bacchetta : Il y a plusieurs types de commissariat d'exposition. Déjà, je ne pense pas être réellement une commissaire d'exposition: comme je travaille d'une manière assez proche des artistes que j'invite, je monte plutôt des expositions personnelles que des projets « curatoriaux ». Pour les expositions, nous n'allons pas nous poser la question de la diffusion, mais plutôt celle de l'appréhension et de la mise en scène de l'espace. Autant pour les éditions que pour les expositions, j'essaye au maximum de réaliser des «premières», qu'une pièce, une installation, etc. n'ait jamais été réalisée avant l'exposition au Centre. Cela ne m'intéresse pas beaucoup de récupérer des oeuvres qui ont déjà été produites par une galerie ou un autre lieu, je préfère favoriser la production de nouvelles pièces, comme de nouvelles éditions. Pour moi, c'est important qu'une exposition, même collective, présente une grande part de nouvelles pièces réalisées en rapport avec le contexte et le concept de l'exposition. Dans ce sens-là, je ne pense pas être « très » historienne de l'art non plus. Ce qui m'attire le plus, c'est que l'édition ou l'exposition que je propose s'insère de manière significative dans le parcours d'un artiste. J'essaye de tomber au bon moment. Certaines éditions peuvent même être un peu ratées, des essais, des expérimentations : c'est pour les artistes des occasions qui créent des ouvertures, probablement vers un nouveau travail. Je préfère prendre ce risque de l'expérimentation que d'exposer les mêmes choses souvent déjà vues un peu partout. L'exposition de Markus Schinwald, par exemple, que j'ai montée en avril dernier au Bac (Bâtiment d'art contemporain), était une immense installation, qui occupait trois grandes salles. C'était la première fois qu'il faisait une installation de ce type avec, d'une part, peut-être un peu moins de moyens que si elle avait été proposée par une institution plus établie, mais en contrepartie avec plus de liberté, car le lieu n'était pas encore trop marqué, trop institutionnalisé. Il a pu tester librement et jusqu'au bout la mise en scène qu'il avait prévue, sans être empêché par les contraintes généralement en vigueur dans les lieux d'expositions plus établis. Quelques mois plus tard, il a eu une exposition au Belvédère à Vienne ; il y a construit une seconde version de l'installation réalisée au Bac avec le Centre. Je pense, qu'à Vienne, il a pu pousser plus loin encore le projet de Genève, avec bien sûr plus de moyens. Mais ce qui est le plus excitant pour moi, c'est d'être une interlocutrice impliquée et disponible pour les artistes que j'invite. Ce genre d'expérience nourrit mes connaissances et ma réflexion sur l'art contemporain, mieux que la lecture d'un catalogue ou même la visite d'une exposition. Parfois, je suis un peu déçue, mais ce travail est une forme d'engagement vis-à-vis des artistes et de la création actuelle. Je ne suis pas du tout fétichiste. Je ne sacralise pas du tout le produit fini, l'oeuvre. Pour moi, l'oeuvre reste un support de réflexion, de questionnement. Bien sûr il existe quasiment pour chaque édition un contrat passé avec l'artiste. Ce contrat fixe le nombre d'exemplaires produits, le partage entre l'artiste et l'éditeur, etc. - ça c'est réfléchi. Nous fixons un prix, nous essayons de diffuser ce nouveau « produit » et nous gardons un exemplaire pour la collection du Centre. Suivant l'édition et le nombre d'exemplaires, je laisse aussi un H.C. au Cabinet des estampes du Musée d'art et d'histoire de Genève. En définitive, ce qui m'intéresse avant tout c'est la rencontre avec l'artiste, le dialogue, le montage du projet, la production et sa mise en scène. Je suis moins passionnée par la diffusion, la vente, les prix, la valeur de l'oeuvre sur le marché, sa plus-value. Pour moi une édition est une machine à penser l'art.

bovier : Les prix ne changent pas, par exemple ?

bacchetta : Je devrais les changer, suivre la cote des artistes avec lesquels j'ai travaillé, mais je ne m'en occupe pas vraiment. Bien qu'il faille tout de même préciser que le Centre a besoin financièrement de réaliser des ventes, notre subvention restant très mince. J'ai dû aussi dans le passé être extrêmement claire avec les organismes publics qui subventionnent le Centre. En effet, il serait ridicule de multiplier des oeuvres pour les accumuler. La vente se justifie par la nature même de l'édition. Nous prenons des risques au niveau des projets, des artistes, mais nous ne recherchons jamais très activement des collectionneurs. Nous ne sommes pas très agressifs à ce niveau-là et, en fait, pas réellement présents sur le marché.

bovier : Vous n'avez jamais présenté vos éditions dans les foires ?

bacchetta : Nous avons participé à quelques foires ou salons consacrés à l'édition, aux imprimés, où tous les éditeurs avaient le même problème de diffusion.

bovier : C'étaient des salons de petits éditeurs et pas des foires de l'art où il y avait des secteurs édition ?

bacchetta : Nous avons participé une seule fois à la foire de Bâle, en 1992. La foire avait tenté de faire tout un étage consacré à l'édition et nous avions été invités à y participer. Nous avions bien sûr payé notre stand, mais nous n'avions pas eu beaucoup de succès.

bovier : Y a-t-il un réseau de lieux avec lesquels vous travaillez régulièrement ou cela dépend-il plutôt du projet et de l'artiste ? bacchetta : Nous avons fait quelques présentations d'éditions dans certains Centres d'art, pas vraiment dans des librairies. En plus, je n'aime pas tellement exposer plusieurs éditions ensemble, parce qu'évidemment, comme je travaille depuis plusieurs années, que les projets sont toujours très différents les uns des autres (livre, fanzine, affiche, gravure ou multiple), et que, de plus, je n'impose pas aux artistes un look maison, les éditions ne sont pas calibrées, il y a un risque que le rassemblement de ces éditions fassent un peu marché aux puces. Je n'aime pas trop faire cela, je trouve que ça dessert les éditions. J'ai organisé en 1992 une exposition des éditions Parkett, et l'ensemble fonctionnait assez bien, parce qu'elles étaient toutes plus ou moins adaptées au format de la revue, cela créait une certaine homogénéité. Par contre, certaines éditions vont être davantage demandées soit par certaines librairies soit par certaines galeries. Nous essayons aussi que les artistes pensent à les présenter dans leurs prochaines expositions. bovier : L'édition d'artiste s'est beaucoup développée dans les années 1960 et 1970 du fait que l'imprimé a joué un rôle important dans les pratiques de beaucoup d'artistes et que l'on a commencé à valoriser cela non pas comme de la documentation ou le sous-produit d'un projet mais comme le lieu d'un projet. Des lieux se sont créés pour une diffusion assez spécifique de ce type de projet et c'est un réseau qui ne m'a pas l'air d'être en croissance, c'est un réseau qui est plutôt âgé aujourd'hui, et qui ne me semble pas véritablement se renouveler.

bacchetta : Je ne crois pas, en effet. Dans les pays nordiques, cependant, il y a certains jeunes galeristes ou jeunes commissaires qui ont ouvert des petits lieux à cet effet, tel que Jacob Fabricius, un Danois, qui a, comme espace d'exposition une vitrine à Copenhague. Il produit des éditions sous le nom de Pork Salad Press, il les présente dans son lieu et il s'arrange pour les diffuser lui-même. Mais, on parle ici plutôt de livres, de petits fascicules, de journaux?En 2003, j'ai invité au Centre plusieurs commissaires d'expositions, Jacob Fabricius, María Inés Rodríguez, Eva Svennung et Alexis Vaillant, qui avaient déjà édité par eux-mêmes des publications, un peu comme le font les jeunes artistes. Je pense que l'on peut suivre cette évolution au travers de l'émergence de nouveaux salons d'éditeurs, l'ouverture de lieux comme le Cneai (Chatou, France) et l'activité de certaines galeries ou lieux alternatifs. Je n'ai rien contre l'idée que les oeuvres éditées soient à nouveau jugées comme mineures, qu'elles restent simplement des éditions. Par contre, quand j'invite un artiste et que nous discutons du projet, peu importe que cela concerne plus particulièrement la production d'une nouvelle pièce, d'une installation ou d'une exposition, cela ne change rien, sauf que les paramètres à considérer ne sont pas les mêmes. Dans la discussion avec l'artiste, le jeu de la critique et du commentaire, dans l'échange, peu importe que ce soit un petit objet, un peu à côté de sa production habituelle, ou une pièce plus importante, cela revient au même.

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